Les organisations autonomes décentralisées (DAO) dédiées à l’investissement sont en plein essor. Elles ont pour ambition de révolutionner l’industrie traditionnelle du capital investissement en utilisant toutes les possibilités offertes par la technologie blockchain. Elles présentent de nombreux avantages : gouvernance décentralisée, recherche d’opportunités démultipliée, prise de décision rapide et transparente. Zoom sur ces nouvelles organisations et leur réglementation au regard du droit des fonds d’investissement.
Définitions, fonctionnement et structuration des DAO d’investissement
Qu’est-ce qu’une DAO d’investissement ?
Une DAO d’investissement est une communauté d’investisseurs qui organise, de manière autonome et décentralisée, la recherche et la sélection de projets à financer, les décisions d’investissements ainsi que la gestion des retours sur investissement, selon des règles de gouvernance inscrites dans des smart contracts.
Les DAO d’investissement nécessitent de prendre des décisions : choisir un projet, investir une somme dans celui-ci, ou encore disposer des revenus générés par l’investissement dans le projet. Pour organiser ces prises de décision, les DAO d’investissement procèdent à l’émission d’un jeton de gouvernance (governance token) ou d’une carte de membre sous forme de jeton non fongible (NFT) qui permet de participer à des votes organisés par la DAO.
Les règles de prise de décision, telles que la soumission de proposition, la majorité requise, le quorum nécessaire, le calendrier du vote, le nombre de votes par jeton, etc. sont inscrites, ou plutôt codées, dans le smart contract de la DAO. Ces modalités d’organisation sont publiques et consultables à tout moment à la lecture du code de la DAO. La DAO d’investissement fonctionne donc sans aucun intermédiaire de confiance.
👉 Avant d’aller plus loin, découvrez ce qu’est une DAO ou organisation autonome décentralisée
Quels sont les principaux exemples de DAO d’investissement ?
The DAO, née en 2016, est la première DAO d’investissement de l’histoire de la technologie blockchain. Cette DAO fonctionnait comme un « fonds d’investissement » décentralisé. Les fonds des participants étaient déposés dans un smart contract. En échange, ils recevaient des jetons The DAO octroyant des droits de vote dans la gouvernance de la DAO.
On compte désormais des dizaines de DAO d’investissement actives. Elles se distinguent par leurs tailles, audiences, thèses d’investissement. Certaines n’investissent que dans des jetons fongibles, alors que d’autres ne visent que les NFTs. Certaines financent en contrepartie de jetons de projet, alors que d’autres réalisent des donations (grants). Certaines prennent la forme d’une société à responsabilité limitée de droit américain (limited liability company ou LLC), alors que d’autres semblent n’avoir aucune entité juridique.
Les DAO d’investissement les plus connues sont Metacartel Ventures, FlamingoDAO ou encore Orange DAO. Le tableau ci-dessous présente les principales DAO d’investissement connues à ce jour :
Nom | Type d’investissement | Token |
AngelDAO | Venture | N/A |
Audacity Fund | Afrique et marchés émergents | N/A |
BitDAO | Venture | $BIT |
Blackpool | NFT et Metaverse | $BPT |
Cardashift DAO | Projets à impact | $CLAP
$vCLAP |
Colony Labs | Écosystème Cosmos | $CLY |
Duck Dao | Incubateur crypto | $DDIM |
DX DAO | Finance décentralisée | $DXdao |
Flamingo DAO | NFT | N/A |
Komorebi Collective | Crypto-fondateurs féminins et non-binaires | N/A |
MetaCartel Venture | Venture | N/A |
MetaGammaDelta | Projets dirigés par des femmes | N/A |
Moloch DAO | Infrastructure Ethereum | N/A |
Neptune DAO | Opportunité de liquidité dans la DeFi | Neptune Units |
New Order DAO | Finance décentralisée | $NEWO |
Orange DAO | DAO de Y Combinator Venture | N/A |
Stacker Ventures | Écosystème Ethereum | $STACK |
SyndicateDAO | Plateforme d’infrastructure pour DAO d’investissement | N/A |
The LAO | Écosystème blockchain | $LAO |
Quels sont les principaux intérêts d’une DAO d’investissement ?
Une DAO d’investissement présente de nombreux intérêts.
Pour les investisseurs :
- la recherche de projets à financer est démultipliée par le nombre de participants à la DAO ;
- le processus de sélection des projets à financer est public et transparent ;
- les décisions d’investissement et de gestion des retours sur investissement sont collectives.
Pour les projets financés :
- accès à une communauté d’investisseurs permettant d’obtenir des retours d’expérience sur le produit en cours de développement ;
- démultiplication des efforts de marketing et communication pour faire connaître le projet et le produit au travers d’une communauté engagée ;
- acquisition de clients plus rapide par l’utilisation des projets financés par les investisseurs membres de la DAO.
La force d’une DAO d’investissement réside donc essentiellement dans une communauté engagée qui se fédère autour de projets pour les financer et les accompagner dans leur développement.
Quelle structure juridique pour les DAO d’investissement ?
La structuration juridique des DAO d’investissement est relativement opaque. Il est difficile de savoir avec certitude si les communautés réunies sous forme de DAO utilisent une ou plusieurs personnes morales ou, au contraire, n’utilisent aucune structure juridique pour organiser leur coopération.
Après étude des principales DAO d’investissement identifiées ci-dessus, nous pouvons constater les éléments intéressants suivants :
- neuf DAO prennent la forme d’une société à responsabilité limitée (limited liability company ou LLC) dont huit au Delaware (Audacity Fund , Flamingo DAO, Komorebi Collective, Neptune DAO, Syndicate DAO et The LAO) et une aux Iles Caïmans (Staker Ventures) ;
- une DAO (BitDAO) indique ne pas avoir de forme sociale et fonctionner exclusivement au moyen de smart contracts : « BitDAO n’est pas une société enregistrée. Nous sommes un ensemble de détenteurs de jetons qui acceptent d’être gouvernés par un ensemble de smart contracts sur la blockchain. » ;
- les autres DAO ne donnent aucune indication sur leur structuration juridique.
En tout état de cause, la présence d’au moins une personne morale dans la structuration juridique des DAO d’investissement permet d’investir également en actions (equity) et donc de participer à des levées de fonds traditionnelles. À l’inverse, l’absence de personne morale ne permet de réaliser que des investissements sur la blockchain en actifs numériques.
Il convient toutefois de préciser que l’essentiel des DAO identifiées sont extra européennes et que la prééminence de la forme sociale de la LLC ne préjuge en rien de la forme sociale idéale qui devrait être retenue dans l’Union européenne en général et en France en particulier.
👉 La structuration d’une DAO à l’épreuve du droit français – Quels enjeux juridiques ?
Les DAO d’investissement sont-elles régulées comme les fonds d’investissement alternatifs ?
Les DAO d’investissement fonctionnant comme des « fonds d’investissement » décentralisés, la question juridique essentielle qui se pose est celle de savoir si ces dernières sont soumises au droit des fonds d’investissement.
Nous procéderons à cette étude sous l’angle du droit français et, par transitivité, du droit de l’Union européenne, car le droit applicable aux fonds d’investissement trouve sa source dans les directives et règlements européens. Compte tenu de la nature des actifs concernés, nous placerons notre étude sous l’angle de la Directive AIFM et des fonds d’investissement alternatifs (FIA).
La distinction du droit français entre un FIA « par nature » et les Autres FIA
En droit français, il existe deux catégories de FIA alternatifs:
- les FIA « par nature » : il s’agit des fonds expressément identifiés par le droit français et qui sont soumis à un régime spécifique prévu par le Code monétaire et financier par exemple les FCPI, les FPS, etc. ;
- les Autres FIA, c’est-à-dire des entités qui, indépendamment de leur structure, sont assimilées par le droit français à des FIA en raison de leur objet.
Le souhait du législateur est que, lorsqu’une entité se comporte comme un FIA, peu importe sa forme, qu’il s’agisse d’une société, d’une fondation, d’une association, ou tout simplement d’un groupement de personnes, elle doit être régulée comme un FIA.
Dans ce contexte, la définition d’un FIA « par objet » en droit français est la suivante : un organisme qui lève des capitaux auprès d’un certain nombre d’investisseurs en vue de les investir, conformément à une politique d’investissement définie, dans l’intérêt de ces investisseurs.
Selon la position AMF 2013-16, l’une des conditions nécessaires pour qualifier une entité de fonds par « objet » est le fait que les porteurs de parts ou les actionnaires de l’entité – en tant que groupe collectif – n’exercent pas un pouvoir discrétionnaire sur les opérations courantes.
Il en résulte que la notion de « fonds » est intrinsèquement attachée à la notion de « gestion collective d’actifs d’un portefeuille d’actifs pour compte de tiers ».
La distinction entre un Autre FIA et une joint-venture
Il convient de noter que lorsque les investisseurs décident de se regrouper ensemble pour mettre en commun des fonds et conservent le pouvoir de décider de les investir ou de les désinvestir, nous ne sommes pas en présence d’un Autre FIA.
Dans son Guide des mesures de modernisation apportées aux placements collectifs français publié en juillet 2013, l’AMF a présenté un schéma permettant de déterminer quand une entité constitue un Autre FIA :
Dans ce même document, elle a présenté une liste d’exemples très intéressante avec ses conclusions :
« – Une Société de Capital Risque qui lève des fonds auprès de plusieurs investisseurs tiers (professionnels ou non-professionnels) a pour objet de de placer ses capitaux dans le respect d’une stratégie prédéfinie. Bien que la nature de cette SCR l’excluait jusqu’à présent du champ des OPC régulés, tels que listés par l’article L.214-1 du Code monétaire et financier, par son objet, elle constitue désormais un FIA.
– Une Joint-Venture (JV) immobilière où deux investisseurs institutionnels gardent le contrôle au quotidien des actifs immobiliers détenus dans le cadre de la JV n’est pas un FIA, car elle ne vérifie pas la définition de « fonds d’investissement » dans lesquels les actionnaires ne doivent pas garder le contrôle quotidien sur les actifs.
– Un « club deal » immobilier où plusieurs investisseurs investissent ensemble dans une SCI, dont ils confient la gestion à un tiers et ne gardent pas la prise de décision d’investissement ou de désinvestissement sur les actifs immobiliers, est un FIA.
– Un groupement forestier dont l’objet est d’investir dans des forêts et qui lève des fonds auprès de multiples porteurs (professionnels ou non-professionnels) est un FIA.
– En revanche, un groupement forestier issu d’un patrimoine familial et dont les parts sont réparties entre plusieurs membres d’une famille ne constitue pas un placement financier. Il ne s’agit donc pas d’un FIA. »
Dans l’Annexe III du même document, elle conclut qu’une joint-venture n’est pas un fonds « par objet » car « il s’agit d’une détention d’actif en co-propriété directement ou au travers d’une société avec maintien des décisions de gestion sur les actifs ».
Il en ressort ainsi que l’AMF considère comme un Autre FIA ou FIA par « par objet » une entité où plusieurs investisseurs confient la gestion de leurs fonds à un tiers sans conserver les décisions importantes de gestion (investissement / désinvestissement).
A contrario, une entité dans laquelle les investissements et désinvestissements des actifs sont décidés par l’ensemble de ses membres ne devrait pas être considérée comme un Autre FIA, mais par analogie avec les « joint-venture » comme une entité non régulée par la réglementation applicable aux FIA.
Conclusion sur la qualification d’une DAO d’investissement en fonds d’investissement alternatifs
Il convient évidemment d’effectuer une analyse juridique au cas par cas pour déterminer si une DAO d’investissement risque d’être qualifiée de FIA.
Toutefois, à notre avis, les DAO d’investissement qui fonctionnent comme des copropriétés, directement ou au travers d’une entité juridique, et dans lesquelles les participants décident ensemble de la gestion des actifs mis en commun, ne devraient pas être qualifiées de FIA et ne devraient pas être soumises au droit des FIA.
Cet article est le fruit d’un travail collectif de Me Stéphane Daniel (avocat associé – d&a partners) et Adrien Hubert (cofondateur de SmartChain et Cardashift).
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