En raison de son caractère décentralisé, la technologie de la blockchain est souvent décrite comme une révolution dans le chef de certaines professions intermédiaires. Selon certains, l’émergence de cette technologie et l’exécution des smart contracts qu’elle favorise pourrait même permettre à ses utilisateurs de se passer de tiers de confiance centralisés traditionnels comme les notaires. En quoi cette révolution technologique pourrait-elle alors consister en une menace pour le métier de notaire et ce dernier doit-il sérieusement s’en inquiéter ? Nous faisons le point sur ces questions et celles qu’elles suscitent.
En quoi consiste la profession notariale ?
Un notaire est un juriste, officier et fonctionnaire public œuvrant de manière indépendante et impartiale. Garant de la sécurité juridique et matérielle des actes des citoyens, il est autorisé à passer des actes dans les cas conférés par la loi et où une partie le lui demande.
Agissant entre autres en tant que conseiller indépendant, il s’agit d’une personne de confiance qui enregistre légalement les accords entre les individus. Il conserve les minutes (originaux des actes) ainsi que les actes sous seing privés déposés au rang de ses minutes (compromis, testaments olographes, etc.) en les mettant à l’abri de toute perte.
Il certifie et authentifie les données et documents dématérialisés, en particulier au niveau de leur origine, de l’identité et la signature électronique ou manuscrite des personnes.
Qu’est-ce qu’une blockchain ?
Constituant une technologie de stockage et de transmission d’informations à coût minime, sécurisée, transparente et fonctionnant sans organe central de contrôle, une blockchain publique (par opposition à une blockchain privée) désigne également, par extension, une base de données sécurisée, à la fois commune et distribuée (car partagée par ses différents utilisateurs), contenant un ensemble de transactions, enregistrées de manière chronologique dans une grande base de données commune et dont chacun peut vérifier la validité.
Une blockchain publique peut ainsi être comparée à un grand livre comptable public, anonyme, immuable et infalsifiable. En somme, il s’agit d’un registre numérique distribué et immuable où les données sont enregistrées de manière chronologique dans une grande base de données commune.
💡 Blockchain publique et blockchain privée : quelles différences ?
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Similitudes et différences entre le notariat et la technologie blockchain
Après avoir esquissé les principales fonctions du notaire et celles effectuées par la blockchain, nous pouvons déceler un certain nombre de ressemblances, mais également des divergences.
Au niveau des similarités, on épingle qu’elles ont toutes deux pour mission notamment les tâches suivantes : la conservation et la certification (conférer de l’authenticité à) des transactions.
Concernant les distinctions, nous observons que le notaire joue un rôle primordial dans l’élaboration des actes et exerce en tant que conseiller indépendant alors que dans le cas d’une blockchain ces attributs sont absents.
De surcroît, il convient de souligner que le notariat procure une confiance institutionnelle tandis que la blockchain n’assure qu’une confiance technologique, laquelle n’est pas encore totalement éprouvée.
En effet, nous pouvons relever que les actes notariés s’appuient sur des mécanismes institutionnels forts et dont ne bénéficie pas la blockchain, à savoir la discipline professionnelle, la déontologie et la force des actes de l’autorité publique.
Une autre importante disparité est qu’avec une blockchain une supervision demeure toujours nécessaire, ce qui en fait un point faible par rapport au notaire. Il conviendra effectivement toujours qu’un individu examine la qualité ou l’exactitude des données saisies. En cas d’insertion d’actes dans la blockchain, personne ne peut plus les modifier, car, pour rappel, les données y sont immuables et infalsifiables. Le métier de notaire exige partant qu’il vérifie que ce qui est écrit est bien conforme à la réalité. Un tel souci de conformité est inconnu de la blockchain.
Voici quelques exemples de cas où un contrôle humain reste aujourd’hui encore indispensable :
Le registre hypothécaire n’est pas complet, car il n’enregistre que les transferts de propriété entre les vivants. Ainsi, si quelqu’un hérite d’un bien immobilier, celui-ci ne figure pas audit registre des hypothèques. Dans l’hypothèse où nous devions télécharger ce registre existant comme premier bloc, il serait incomplet. La personne ayant hérité d’une propriété et souhaitant la vendre par la suite ne pourra dès lors pas mentionner la vente dans la blockchain. Cela nécessitera l’intervention et le contrôle d’une autorité centrale.
La blockchain ne peut pas vérifier le consentement et la capacité juridique des parties de conclure des transactions immobilières ainsi que leur compréhension des termes du contrat. Qu’adviendrait-il par exemple si un vendeur est dément et qu’il menace de vendre sa propriété nettement en dessous du prix du marché ?
Dans la même veine, imaginons que je veuille insérer dans la blockchain l’achat d’une habitation : qui pourrait alors garantir que je suis bien la personne que je prétends être, en l’occurrence l’acquéreur ?
Nonobstant cet écueil, nous observons l’émergence de solutions dites d’identités décentralisées (ou DID en anglais), et ce en vue de précisément pouvoir résoudre ce genre de problématique de gestion de l’identité en ligne que ce soit en passant par la difficulté de mémorisation des mots de passe et l’usurpation d’identité ou pour protéger la confidentialité et la sécurité des données des utilisateurs.
Voici certains des projets sur ce créneau : ION (développé par Microsoft et fonctionnant sur la blockchain de Bitcoin), Litentry (token LIT) implémenté sur la blockchain Polkadot ou MyDid (et son token SYL) du projet XSL Labs.
👉 Pour aller plus loin sur les identités numériques décentralisées
La blockchain n’est également pas en mesure de contrôler si le vendeur s’est acquitté de ses dettes et dans quel ordre, parfois complexe, ses éventuels créanciers (fisc, bureau d’hypothèque, syndic, agent immobilier, etc.) au moyen du produit de la vente.
En marge de son rôle dans l’élaboration des actes, le notaire agit également en qualité de conseiller indépendant : lors de l’achat d’une habitation, ce qui représente pour la majorité des personnes l’investissement le plus important de leur vie, il attire en effet l’attention sur les éventuels risques et difficultés, mais également sur les possibilités et opportunités.
Il peut en sus aborder des sujets auxquels vous n’auriez peut-être pas songé. Peut-être que l’acheteur devrait revoir son testament à la suite de son achat ? Ou remanier son contrat de mariage ? Et peut-être que l’acquisition de la propriété implique également d’importantes conséquences fiscales ?
Il s’agit assurément de points d’attention qui requièrent une interaction personnelle avec un notaire : tâche qu’aucune technologie ne peut actuellement assumer, sous réserve éventuellement de l’émergence de solutions dédiées utilisant une intelligence artificielle.
Comme vous l’aurez compris, toute la valeur ajoutée du notaire réside dans les conseils qu’il prodigue à ses clients que ce soit en matière de vente, des dispositions successorales, d’union matrimoniale ou encore de tutorat ainsi que sa capacité à gérer des imprévus tels une préemption (droit prioritaire d’achat) ou une action en justice, ce que la blockchain à elle seule ne saurait garantir.
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Utilités et avantages de la blockchain et cas d’usage dans le notariat
En dépit de ses faiblesses évoquées précédemment, la blockchain comprend un certain nombre d’avantages indéniables face aux ressources mobilisées par un notaire.
Sa première utilité qui nous vient à l’esprit est qu’elle permet d’établir un cadastre sécurisé dans des pays qui n’en disposent pas. On rappellera à cet égard que la Banque mondiale estime que 70 % de la population mondiale n’a pas accès au titre foncier.
L’avantage est donc double : gage de sécurité, de coordination et de confiance, cela crée un registre de propriété transparent et infalsifiable démontrant que telle personne est bien propriétaire de tel bien et, aux yeux de l’État, cela permet de percevoir plus aisément les taxes foncières.
Au Ghana, par exemple, l’ONG Bitland s’emploie depuis 2016 à enregistrer les titres de propriété sur la blockchain et à ainsi résoudre des conflits fonciers.
En Suède, une expérimentation est en cours pour intégrer des cadastres numériques dans la blockchain. Les acheteurs et vendeurs signent de manière numérique et chaque changement de propriété est mémorisé dans une blockchain dédiée à cet effet.
Selon une estimation du cabinet de conseil Kairos Future, qui est également impliqué dans ce projet, cette inclusion pourrait permettre au contribuable suédois d’économiser plus de 100 millions d’euros (106 millions de dollars) par an en éliminant la paperasserie, en réduisant la fraude et en accélérant les transactions.
Selon un rapport de l’OCDE, la Géorgie est l’un des premiers pays utilisant la technologie blockchain pour enregistrer ses biens cadastraux et a déjà, à ce titre, enregistré plus d’un million d’extraits et d’actes.
Nous relèverons ci-après quelques autres intéressants usages de cette technologie :
Au Royaume-Uni, la startup Willchain permet la rédaction d’un testament en ligne. Les utilisateurs sont guidés pas à pas au travers d’un formulaire et ce dernier suggère des solutions personnalisées en fonction de leur situation. Dès réception de la notification de décès, le testament s’activera et son bénéficiaire recevra son dû.
Nous pouvons encore citer Block Notary, un journal en ligne pour notaires permettant de garder une trace de chaque document authentifié.
La blockchain permet également de créer des smart contracts : il s’agit de programmes autonomes qui, une fois démarrés, exécutent automatiquement et sans intervention humaine des actions définies au préalable.
Un exemple classique d’un smart contract est le fait de pouvoir garantir que les passagers d’un vol retardé reçoivent automatiquement une compensation si l’avion est réellement en retard, évènement qui la plupart du temps pourra être vérifié à l’aide d’un oracle.
💡 Qu’est-ce qu’un oracle dans le monde de la blockchain ?
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Il est d’ailleurs possible d’utiliser ces smart contracts à différentes étapes du processus de vente d’un bien immobilier. Actuellement, le notaire doit recueillir une série de documents avant que la vente ne puisse avoir lieu : l’extrait cadastral, le certificat d’hypothèque, les informations urbanistiques, etc. Chaque vente se précède ainsi d’une panoplie de recherches.
Grâce à ces « contrats intelligents », cela permet en théorie de s’assurer que les parties ne peuvent signer le contrat (compromis et/ou acte) de vente qu’une fois toutes ces informations effectivement recueillies. Le même procédé pourra être utilisé pour transférer le bien d’un individu à l’autre seulement après le paiement du prix d’achat.
Au travers des smart contract, les travaux administratifs du notaire (en particulier les nombreuses recherches) s’en trouveraient ainsi à terme considérablement allégés, avec à la clé aussi bien des économies de coûts conséquentes qu’un énorme gain de temps.
La blockchain représente-t-elle une véritable menace pour la profession notariale ?
Bien que la blockchain soit en soi un progrès sur bien des aspects, elle ne peut à elle seule remplacer l’activité notariale, car, dans les faits, les notaires restent indispensables à l’élaboration, la duplication et la certification des actes. La blockchain est, quant à elle, performante en tant que mécanisme sécurisé de conservation et de certification. Ainsi, le rôle du notaire réside plus dans la production et dans l’intelligence que dans la conservation, un rôle qui peut être alloué aux blockchains.
Par ailleurs, le notaire éclaire les parties sur les termes juridiques et les conseille sur les aspects juridiques de leurs engagements. Il propose somme toute une véritable expertise basée sur sa compétence et son expérience professionnelle.
La profession notariale avance résolument vers une véritable dématérialisation et numérisation des actes notariaux et, en cela, la blockchain peut constituer un sérieux appui stratégique.
Le véritable enjeu de réflexion consisterait plutôt à s’interroger sur la capacité d’un réseau entièrement décentralisé à certifier efficacement une information. En effet et comme on l’a vu, bien qu’une blockchain soit capable de certifier une donnée, comment garantir la véracité de cette dernière ?
En vertu de l’existence de la blockchain, il est encore assez difficile de définir l’orientation que prendra la profession notariale. Cela étant, on peut raisonnablement affirmer qu’elle exercera un rôle important dans l’évolution du métier de notaire, car elle est dans la continuité de la dématérialisation et la numérisation des activités notariales dont la demande de mise en place n’a jamais été aussi forte que depuis la crise sanitaire de Covid-19.
Au vu de ce qui précède, la mission première du notaire ne serait plus autant l’authentification – laquelle sera inexorablement supplantée notamment par la blockchain avec le temps – mais bien plutôt celle de dispenser des conseils et d’éclairer les parties sur les termes juridiques de leurs contrats.
Grâce à l’essai, et ensuite, l’intégration de la technologie de la blockchain, le notaire pourra davantage se consacrer à son rôle de conseil et de contact personnel avec le client.
Au final, loin de constituer une menace, l’exercice des tâches réalisées par le notaire et la blockchain ne s’opposent nullement, mais sont au contraire complémentaires et se renforcent mutuellement, donnant ainsi à toutes les parties un précieux avantage autant pour les notaires et les administrations connexes, que pour les citoyens.
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